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Démocratie locale en action: le Bourgmestre, élu ou nommé, doit obéir au Conseil élu !

« Qu’il soit élu ou nommé, le Bourgmestre ne peut se soustraire aux décisions du Conseil communal, seul organe issu du suffrage populaire. »

Depuis les élections locales de décembre 2023, une ère nouvelle s’ouvre pour la démocratie à la base en République Démocratique du Congo. Pour la première fois depuis l’indépendance, les conseillers communaux, organes délibérants des communes, ont été élus par le peuple pour gérer les affaires locales.

Cette avancée démocratique, bien qu’historique, est aujourd’hui menacée par une confusion des rôles et une résistance institutionnelle inacceptable, notamment de la part de certains Bourgmestres nommés par ordonnance présidentielle, qui peinent à reconnaître l’autorité légitime de ces élus du peuple.

Or, le cadre légal de la décentralisation congolaise est sans équivoque : le Bourgmestre n’est pas un monarque local, encore moins un contre-pouvoir, mais bien le bras exécutif chargé de mettre en œuvre les décisions du conseil communal.

Une base juridique claire et impérative

La Constitution de la République, à son article 3, consacre la décentralisation comme fondement de l’organisation territoriale du pays. En vertu de cette disposition, les Communes, entités territoriales décentralisées, jouissent de la personnalité juridique et d’une autonomie de gestion, sous la responsabilité de leurs organes propres.

La loi organique n°08/016 du 07 octobre 2008 précise cette organisation :

  • Article 59 et 60 : « Le bourgmestre est le représentant de l’État dans la commune. Il est chargé de l’exécution des décisions du Conseil communal. »
  • Article 54 : « Le bourgmestre est responsable devant le Conseil communal de la gestion de la commune. » (Le Collège exécutif communal est l’organe de gestion de la commune et d’exécution des décisions du Conseil communal).
  • Article 36 in fine, article 58 : « Le Conseil communal peut, par une motion de défiance, démettre de ses fonctions le bourgmestre ou le bourgmestre adjoint. » (à la majorité absolue).

Ces dispositions traduisent clairement une hiérarchie institutionnelle locale : le Conseil communal est l’organe supérieur d’orientation et de contrôle, tandis que le bourgmestre est son exécutant responsable.

Principes définis et établis les textes législatifs et réglementaires ci-dessous :

  1. Constitution de la République Démocratique du Congo (2011)
  2. Loi n° 08/014 du 18 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des entités territoriales décentralisées
  3. Loi n° 11/011 du 13 juillet 2011 portant organisation et fonctionnement des communes
  4. Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation des provinces et des entités territoriales décentralisées
  5. Code de déontologie des autorités administratives locales
  6. Décret n° 18/072 du 10 novembre 2018 portant répartition des compétences entre les entités territoriales décentralisées et l’État
  7. Ordonnance n° 11/034 du 26 juillet 2011 organisant le statut et les attributions des bourgmestres et conseillers communaux
  8. Règlement intérieur des Conseils communaux
  9. Arrêté ministériel du Ministère de l’Intérieur sur les modalités de mise en œuvre de la décentralisation
  10. Textes spécifiques aux élections locales, tels que le Code électoral révisé

Ces textes régissent les attributions, compétences, responsabilités et relations entre les bourgmestres et les conseillers communaux en RDC.

Une dérive à contenir : l’indiscipline institutionnelle

Dans plusieurs communes du pays, on observe malheureusement une montée préoccupante de l’indiscipline institutionnelle. Des Bourgmestres refusent d’exécuter des décisions budgétaires, des motions ou encore des orientations pourtant dûment adoptées par les conseils communaux. Certains vont même jusqu’à ignorer les convocations de ces conseils ou à contester leur compétence, se retranchant derrière leur nomination par ordonnance présidentielle; une mesure qui, faut-il le rappeler, demeure exceptionnelle.

Ce comportement constitue une violation flagrante de la loi, doublée d’un mépris inacceptable de la volonté populaire. En effet, les conseillers communaux sont les seuls représentants légitimes du peuple au niveau local, élus au suffrage universel direct, conformément à la Constitution de la République et à la loi n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’État et les provinces.

L’ordonnance présidentielle, en tant qu’acte administratif unilatéral, ne peut en aucun cas abolir ou restreindre les prérogatives d’une institution délibérante légalement élue.

L’article 6 de la Constitution garantit le pluralisme démocratique et consacre la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Dès lors, toute tentative d’un Bourgmestre de contourner les décisions d’un conseil communal démocratiquement élu est non seulement illégale, mais aussi attentatoire au principe de la souveraineté populaire.

La jurisprudence du Conseil d’État a d’ailleurs rappelé, dans plusieurs arrêts, que les actes d’un exécutif local ne sauraient prévaloir sur les délibérations régulières d’un organe délibérant élu, sauf violation manifeste de la loi (voir, par exemple, l’arrêt n° 0123/CE/2021 relatif à un conflit de compétence entre Gouverneur et son Assemblée provinciale de la Tshopo). Cela consacre le principe selon lequel la légitimité démocratique prime sur la simple nomination administrative.

Dans plusieurs pays africains, les Bourgmestres ou Maires sont nommés par le Président de la République, mais restent redevables devant les organes délibérants. Voici quelques exemples :

  1. Cameroun : Le Président de la République nomme les bourgmestres dans certaines communes par décrets présidentiels. Cependant, ces bourgmestres sont responsables devant les conseils municipaux élus, qui ont le pouvoir de contrôler et d’évaluer leur gestion. Les conseils municipaux peuvent, dans certains cas, censurer ou révoquer le maire si les conditions sont remplies. Ils sont également en charge de l’adoption des décisions importantes pour la commune.
    2. Gabon : Dans certaines villes, les maires sont nommés par le Président de la République. Toutefois, ces maires doivent rendre des comptes au conseil urbain, composé de conseillers élus. Le conseil urbain peut contrôler la gestion du maire, adopter des résolutions sur des questions importantes et l’interpeller sur sa gestion.
    3. Tchad : Le Président nomme les bourgmestres dans certaines régions, mais ces derniers sont responsables devant les conseils municipaux élus. Ces conseils jouent un rôle de contrôle et de supervision, et peuvent, dans certains cas, exprimer des motions de censure ou prendre des décisions concernant la gestion de la commune.
    4. Mali : Bien que le Président nomme les bourgmestres dans certaines situations (notamment dans les zones rurales ou lors de périodes de transition), ces bourgmestres restent soumis à l’autorité des conseils municipaux élus. Ces derniers ont des pouvoirs pour valider les actions du maire et peuvent intervenir dans la gestion des affaires locales.

Appel aux Gouverneurs : garants de l’ordre institutionnel local

Face aux tensions croissantes entre Bourgmestres nommés et conseillers communaux élus, les Gouverneurs de Province ont un rôle essentiel à jouer en tant que chefs des exécutifs provinciaux et autorités de tutelle des communes. Ils sont tenus de garantir l’équilibre et la légalité dans le fonctionnement des institutions locales, en:

  1. Assurerant le respect de l’ordre décentralisé
    Les gouverneurs ont l’obligation constitutionnelle de veiller à la légalité des actes des organes locaux, sans empiéter sur leur autonomie. Cela implique notamment la protection de l’autorité du conseil communal, surtout lorsque celle-ci est menacée par un bourgmestre en conflit avec les élus.
  2. Jouant un rôle de médiateur et de régulateur
    En cas de blocages institutionnels (budgets, projets, motions de défiance), le gouverneur doit encadrer les relations entre les organes communaux. Il peut :
    • Saisir le ministère de l’Intérieur pour des sanctions contre un bourgmestre en cas de faute grave ;
    • Valider les actes du conseil communal (budgets, résolutions), conformément à la loi.
  3. Soutenant la légitimité démocratique
    Les conseillers communaux, élus au suffrage universel, sont les seuls représentants directs du peuple au niveau local. Leur autorité doit être respectée et renforcée. Toute tentative de contournement ou de sabotage par un bourgmestre constitue une atteinte à l’ordre démocratique. Le gouverneur doit alors intervenir pour faire respecter la primauté du mandat électif sur la nomination administrative.

En résumé, les Gouverneurs doivent, avec fermeté et légalité :

  • Rappeler aux Bourgmestres qu’ils sont tenus d’exécuter les décisions du conseil (article 54) ;
  • Faire appliquer les motions de défiance adoptées régulièrement ;
  • Veiller au bon fonctionnement des communes, dans le respect des lois et au service des citoyens.

Le succès de la décentralisation, pilier de l’État de droit en RDC, repose aussi sur la vigilance, la neutralité et la responsabilité des Gouverneurs, véritables sentinelles de l’ordre institutionnel.

Remettre l’exécutif local à sa juste place

Il ne peut y avoir de démocratie locale sans respect de l’ordre institutionnel. Le Bourgmestre, quel que soit son mode de nomination, est tenu d’obtempérer aux décisions du conseil communal élu. Il n’en est ni le supérieur, ni le rival. À défaut, la République s’expose à un chaos institutionnel à la base, compromettant les objectifs mêmes de la décentralisation.

À l’heure où la population attend des réponses concrètes à ses besoins, les querelles d’ego et les confusions de rôle doivent cesser. Gouverneurs, faites respecter la loi. Bourgmestres, exécutez les décisions. Conseillers, assumez votre mandat. La démocratie locale en dépend.

Flodel NKIMA,

Chercheur en Droit et Analyste des questions politiques et administratives

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